IQALUKTUUTIAQ
Cambridge Bay, Canada
Cadre théorique culturel
FIGURE CTC-01. Ovayok Territorial Park Cambridge Bay. (2020)
Dans les communautés autochtones nordiques, il est possible de relever trois principaux concepts qui permettent d’arrimer les travaux d’aménagement urbain à un territoire afin d’assurer une certaine acceptation et une adaptation culturelle par une majorité des membres: la territorialité, l’identité et le phénomène de la participation collaborative.
© Maude Boulay (2022)
La territorialité chez les autochtones
«Le concept de territorialité peut largement être compris comme la somme des mécanismes qui président à la relation qu’un groupe humain entretient avec un territoire donné. » (Desbiens et Rivard, 2012) En fait, ces mécanismes se définissent par la croyance, l’identité, les connaissances, les activités de subsistance qui assurent une proximité entre les membres de la communauté et le territoire qu’ils habitent. En ce sens, le territoire à une valeur symbolique et culturelle importante pour les autochtones, il est perçu et vécu comme un espace social où il est possible de transmettre des savoirs traditionnels par voie orale ou encore par le biais d’activités comme la chasse, la pêche et la cueillette. Sans aucun doute, la pratique de ces activités traditionnelles favorise le sentiment d’appropriation et d’appartenance de la communauté au territoire en plus de la résilience en ce qui concerne les changements opérés sur ce dernier.
Dans l’étude de Cambridge Bay :
Le fait que la communauté se soit sédentarisée dans la seconde moitié des années 1900, par l’implantation purement fonctionnelle d’un radiophare et d’un poste de réseau d’alertes pour la défense du pays, entraine une perte du sentiment d’attachement chez les membres de la communauté avec leur territoire. La pratique des activités traditionnelles se fait de plus en plus difficile, notamment à cause des changements climatiques qui modifient la faune et la flore sur le territoire comme la venue des gibiers ou la pousse de petits arbres fruitiers. Aussi, ces changements climatiques modifient l’orientation des vents, l’augmentation des précipitations et la fonte du pergélisol touchant par endroit la topographie de la région.
Il n’en demeure pas moins que le territoire autochtone s’illustre comme un espace de ressourcement et de guérison depuis la sédentarisation de la communauté à l’emplacement du village de Cambridge Bay. Pour eux, la relation au territoire est aussi importante que la relation avec les humains. Il est un espace de responsabilisation et d’autoréalisation hors pair.
L'identité culturelle autochtone
Les communautés autochtones nordiques vivent depuis quelques décennies, par le phénomène de la mondialisation, un grand défi identitaire qui les amène à devoir concilier constamment tradition et modernité. À la base, les autochtones sont des peuples nomades vivant à même des petits abris sur le territoire au gré de la chasse et de la pêche. Paradoxalement, suite à leur colonisation, ils sont en partie devenus sédentaires vivant dans des habitations plus robustes et durables sur une section restreinte du territoire où les activités de chasse et de pêche sont maintenant exercées plus pour le plaisir de la tradition que pour la survie des familles. Dans cette perspective, ce n’est jamais tout blanc ou noir, certains autochtones craignent la modernité et à l’inverse d’autres sont moins enclin à pratiquer les traditions culturelles. (André-Lescop, 2019)
FIGURE CTC-03. Hovey, D. (2017)
Dans l’étude de Cambridge Bay :
« Vous trouverez des adolescents jouant à des jeux vidéo à l'arcade locale. Vous entendrez des aînés inuit parler inuinnaqtun lorsqu'ils ramassent leur courrier au bureau de poste. Vous verrez les phares des chasseurs à plusieurs kilomètres sur la banquise revenir en motoneige avec leurs prises, à la lueur étrange, brumeuse et accueillante d'une ville enveloppée de brouillard glacé pendant une nuit d'hiver à -35 degrés Celsius.» (Municipalité de Cambridge Bay, 2022)
Cette courte citation permet de mettre en perspective les défis identitaires de la communauté inuit de Cambridge Bay. Assurément, l’implantation de technologies comme les jeux vidéo ou les réseaux sociaux ont un impact sur l’héritage culturel qui est généralement transmis de génération en génération. Il n’est pas rare que les plus jeunes ne soient pas en mesure de communiquer avec les aînés dans la langue traditionnelle de la communauté. De plus, on note un changement de mobilité important lors des sorties sur le territoire par l’arrivée des motoneiges. Ces dernières ont modifié la pratique d’activités traditionnelles comme la chasse et la pêche en accélérant les déplacements qui se faisaient autrefois à la marche. Cette dualité entre tradition et modernité illustre bien le défi identitaire avec lequel doit jongler les membres de la communauté parce que, certainement, certains craignent la modernité et à l’inverse d’autres sont moins enclin à pratiquer les traditions culturelles.
La recherche participative
FIGURE CT-04. Carter, N. (2019)
Dans les régions du Nord canadienne, plusieurs initiatives de recherches partenariales avec des communautés autochtones sont nées dans les dernières années, notamment en architecture et en design urbain. Ces études collaboratives peuvent s’avérer très intrusives pour les membres de ces communautés. Souvent, les gens ont l’impression d’être utilisés aux profits de la science dans le sens où ils donnent beaucoup aux chercheurs sans que rien ne leur soit donné en retour. Ces pratiques de recherches pour lesquelles on accorde peu de considération au passé historique difficile, au mode de vie, à la culture et aux différentes situations politiques actuelles des autochtones font preuve d’un manque de respect. Ainsi, « plusieurs chercheurs autochtones en participation demandent à être plus inclus dans la pratique afin d’avoir un meilleur contrôle et une plus grande autonomie sur les études qui concernent leurs communautés.» (Gouin, 2021) Pour ce faire, il est important d’établir une relation dynamique entre les différents acteurs d’un partenariat de recherche tels que les chercheurs, les professionnels et les membres de la communauté dans laquelle l’étude a lieu. D’un point de vue symbolique, cette pluralité est importante dans un contexte de rencontre et d’échange puisqu’elle a pour mission de renforcer le trait d’union entre les allochtones et les autochtones. (Gentelet, 2009) Il est primordial de communiquer avec les Premières Nations sans essayer de les comparer, tout le monde est sur le même pied d’égalité. Effectivement, les nations autochtones sont très différentes de la nation québécoise sur plusieurs plans et il convient d’accepter ces différences qui les définissent en tant qu’individu et en tant que communauté respective. Le but est que chacun puisse conserver son identité originale tout en participant au développement et à la recherche de l’étude de manière collaborative qui se définit par un espace de partenariat. À cet effet, la notion de « relationalité » est la clé d’un projet éthique qui veut inclure les membres de la communauté autochtone à chaque étape du processus de recherche partenariale. (Gouin, 2021) En ce sens, il existe trois types de relations (humaine, spatiale et idéologique) voulant mettre en lumière les rudiments d’une approche participative. Premièrement, la famille et les amis, les relations interpersonnelles, définissent le premier type de relations puisque les autochtones chérissent une importance particulière à ces relations entre les personnes qui maintiennent les relations en tant qu’individus et lient les individus à leurs communautés. Deuxièmement, il est possible de relever l’importance de l’espace au cœur des discours autochtones. Pour eux, la relation qu’ils ont avec l’environnement soutient et façonne leur expérience et leur réalité terrestre. Troisièmement, les idées, définissant le dernier type de relation, sont régies selon une structure circulaire qui veut mettre de l’avant l’égalitarisme et l’inclusion de la diversité. (Wilson, 2008) Bref, en recherche participative, le plus important semble être de prendre le temps de s’asseoir et d'échange sur divers savoirs et récits traditionnels afin d’apprendre à se connaitre, se comprendre et évoluer ensemble malgré les divergences d’opinions et de conceptions du monde.
Dans l’étude de Cambridge Bay:
Pour le plan de la communauté 2015-2035 du village de Cambridge Bay, la recherche se doit d’être mise de l’avant. La communauté demande d’être consultée tout au long du processus de planification d’expansion de la communauté par l’intermédiaire d’ateliers créatifs, d’émissions de radio, de faire partie prenante d’interview, de créer des journées porte ouverte avec le public, les consultants et les membres du conseil municipal pour déterminer les politiques initiales et le plan préliminaire de développement.
La population de Cambridge Bay est le premier témoin des changements climatiques qui agissent sur son territoire. Ils ont des connaissances locales et traditionnelles qui leur donnent un avantage sur les professionnels de l’extérieur. Ainsi, la participation des autochtones et l’intégration de leurs valeurs culturelles au processus de recherche et de développement de l’extension du village permettent d’anticiper les impacts des changements climatiques et de planifier des moyens d’adaptation sur leur territoire.